mardi 31 janvier 2017

Savoir qui je suis

Charlotte, mère d'Héléna, dans le train du retour, après un week-end éprouvant chez sa fille...

Paul, est-ce que tu sais que ma fille Héléna a de beaux yeux, un regard clair, un regard pur? Elle a les yeux de Joseph, et quand on lui tient la tête, elle peut soutenir votre regard. Est-ce que tu comprends comment elle a la force de vivre en souffrant comme elle souffre? Ma vie a moi a été magnifique, grosso modo, bien sûr, mais la sienne?
Je suis bien. Evidemment, je me sens un peu mélancolique, je ne peux pas dire le contraire, mais je me sens quand même bien, ça ne m'intéresse pas de savoir qui je suis, je m'en passe.

Ingmar Bergman, Sonate d'automne (1978)

vendredi 27 janvier 2017

Cette gaîté prolongée et un peu factice

Quelques dimanches après-midi désoeuvrés de mon enfance m'ont sans doute permis de faire connaissance avec l'inspecteur Columbo, série TV policière multi-diffusée sur TF1. En l'occurence, une poignée d'épisodes suffit à se rendre compte de la constuction constante des épisodes : un crime prémédité, un assassin identifié dès les premières minutes, un inspecteur gauche gravitant autour de lui, alternant questions anodines et perfides, provoquant un agacement de plus en plus marqué, jusqu'à conduire à un faux pas ou une révélation.

Si cette mécanique me semble si limpide, c'est que la (re)lecture de Crime et Châtiment m'a permis de de reconnaître dans le juge d'instruction Porphyre Petrovitch l'inspiration première pour le personnage de l'inspecteur Columbo.

C'est sans doute ce qui rend chacune des confrontations avec Raskolnikiv épique.
Tandis que le juge d'instruction offre le "spectacle bizarre [d'un] petit corps gras et rond, dont les évolutions rappelaient celles d'une balle qui aurait rebondi d'un mur à l'autre" tout en émettant de plates considérations, Raskolnikov s'impatiente :

— Vous savez, commença-t-il avec une insolence qui semblait lui procurer une profonde jouissance, c'est un principe, une règle pour tous les juges d'instruction, de placer l'entretien sur des niaiseries, ou bien sur des choses sérieuses, si vous voulez, mais qui n'ont rien à voir avec le véritable sujet, afin d'enhardir, si je puis m'exprimer ainsi, ou de distraire celui qu'ils interrogent, d'endormir sa méfiance, puis brusquement, à l'improviste, ils lui assènent, en pleine figure, la question la plus dangereuse. Est-ce que je me trompe ? N'est-ce pas une coutume, une règle rigoureusement observée dans votre métier ?
— Ainsi, ainsi... vous pensez que je ne vous ai parlé du logement fourni par l'État que pour... En disant ces mots Porphyre Petrovitch cligna de l'œil et une expression de gaîté et de ruse parcourut son visage. Les rides de son front disparurent soudain, ses yeux parurent rétrécis et ses traits se détendirent, il plongea son regard dans les yeux de Raskolnikov, puis éclata d'un long rire nerveux qui lui secouait tout le corps. Le jeune homme se mit à rire lui aussi, d'un rire un peu forcé, mais quand l'hilarité de Porphyre, à cette vue, eut redoublé jusqu'à lui empourprer le visage, Raskolnikov fut pris d'un tel dégoût qu'il en perdit toute prudence. Il cessa de rire, se renfrogna, attacha sur Porphyre un regard haineux et ne le quitta plus des yeux tant que dura cette gaîté prolongée et un peu factice, semblait-il. Il faut dire, du reste, que l'autre ne se montrait pas plus prudent que lui : car, au fait, il s'était mis à rire au nez de son hôte, et paraissait se soucier fort peu que celui-ci eût très mal pris la chose. Cette dernière circonstance parut extrêmement significative au jeune homme ; il crut comprendre que le juge d'instruction avait de tout temps été parfaitement à son aise et que c'était lui, Raskolnikov, qui s'était laissé prendre dans un traquenard. Il y avait là, de toute évidence, quelque piège, un dessein qu'il n'apercevait pas ; la mine était peut-être chargée et allait éclater dans un instant.

Dostoïevski, Crime et Châtiment (1884)

jeudi 26 janvier 2017

I love her. I want it known

Phil Elverum compte parmi mes artistes préférés (via ses projets Mt Eerie et the Microphones), et il est heureux d'avoir de ses nouvelles, tant on le savait dévasté par la mort de sa femme (et mère de sa fille) l'an passé. Annonçant la sortie d'un album courant mars, il publie un premier morceau, accompagné de ces quelques mots.

Why share this much? Why open up like this? Why tell you, stranger, about these personal moments, the devastation and the hanging love? Our little family bubble was so sacred for so long. We carefully held it behind a curtain of privacy when we’d go out and do our art and music selves, too special to share, especially in our hyper-shared imbalanced times. Then we had a baby and this barrier felt even more important. (I still don’t want to tell you our daughter’s name.) In May 2015 they told us Geneviève had a surprise bad cancer, advanced pancreatic, and the ground opened up. ‘What matters now?’ we thought. Then on July 9th 2016 she died at home and I belonged to nobody anymore. My internal moments felt like public property. The idea that I could have a self or personal preferences or songs eroded down into an absurd old idea leftover from a more self-indulgent time before I was a hospital-driver, a caregiver, a child-raiser, a griever. I am open now, and these songs poured out quickly in the fall, watching the days grey over and watching the neighbors across the alley tear down and rebuild their house. I make these songs and put them out into the world just to multiply my voice saying that I love her. I want it known.

DEATH IS REAL could be the name of this album. These cold mechanics of sickness and loss are real and inescapable, and can bring an alienating, detached sharpness. But it is not the thing I want to remember. A crow did look at me. There is an echo of Geneviève that still rings, a reminder of the love and infinity beneath all of this obliteration. That’s why.

Pour composer et publier cet album, Phil Elverum a dû dépasser le sentiment que toute musique ou poésie était devenue vaine. Il s'en explique encore dans ce premier morceau 





Death is real.
Someone’s there and then they’re not
and it’s not for singing about.
It’s not for making into art.
When real death enters the house
all poetry is dumb.
When I walk in
to the room where you were
and look into
the emptiness instead
all fails.
My knees fail.
My brain fails.
Words fail.
Crusted with tears, catatonic and raw, I go downstairs and outside and you still get mail.
A week after you died a package with your name on it came and inside was a gift for our daughter you had ordered in secret and collapsed there on the front steps I wailed.
A backpack for when she goes to school a couple years from now. You were thinking ahead to a future you must have known deep down would not include you though you clawed at the cliff you were sliding down, being swallowed into a silence that is bottomless and real.
It’s dumb
and I don’t want to learn anything from this.
I love you.

Mount Eerie, Death is Real
A Crow Looked At Me (P.W. Elverum and Sun., 2017) 

samedi 21 janvier 2017

If this be the end, then so shall it be

"A commentary on a politically-charged, historical moment" :
C'est ainsi que Gorillaz introduit ce nouveau morceau, publié le jour de l'investiture d'un président, il faut le dire, hautement inquiétant. Au chant, un Benjamin Clementine très convainquant.




Here is our tree
That primitively grows
And when you go to bed
Scarecrows from the far east
Come to eat
Its tender fruits
And I thought the best way to perfect our tree
Is by building walls
Walls like unicorns
In full glory
And galore
And even stronger
Than the walls of Jericho

But glad then my friend
Out in the field we shall reap a better day
What we have always dreamt of having
Are now for the starving
It is love, that is the root of all evil
But not our tree
And thank you my friend
For trusting me

Hallelujah
(Hallelujah)
Hallelujah money
(Past the chemtrails)
Hallelujah money
(Hallelujah money)
Hallelujah money
(Hallelujah money)

How will we know
When the morning comes
We are still human ?
How will we know?
How will we dream?
How will we love?
How will we know?

Don't worry, my friend
If this be the end, then so shall it be
Until we say so, nothing will move
Ah, don't worry
It's not against our morals
It's legal tender
Touch, my friend
While the whole world
And whole beasts of nations desire
Power

How will we know
When the morning comes
We are still human ?
How will we know?
How will we dream?
How will we love?
How will we know?

Hallelujah
(Hallelujah)
Hallelujah money
(Past the chemtrails)
Hallelujah money
(Hallelujah money)
Hallelujah money
(Hallelujah money)
Hallelujah money!

Gorillaz, halleluia money (2016)

mercredi 18 janvier 2017

L'ivresse

- J'ai pas encore les pieds dans le trou, mais ça vient, bon dieu ! Tu te rends pas compte que ça vient ? Et plus ça vient, plus je me rends compte que j'ai pas eu ma dose d'imprévu ! Et j'en redemande. T'entends ? J'en redemande ! [...] Si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l'ivresse.

Henri Verneuil, Un singe en hiver (1962)

mardi 17 janvier 2017

Green peace

Un peu de verdure printanière pour oublier les morsures de l'hiver.
Vue au Musée de l'Orangerie. 

Gauguinpaysage (1901)

Grant Wood, young-corn (1931)

Edward Hopper, Gas  (1940)

André Derain, Paysage du Midi (1932)

Cézanne, Le pin à l'Estaque (1876)

vendredi 13 janvier 2017

jeudi 12 janvier 2017

Coffee and Cigarettes

Iggy et Tom se retrouvent autour d'un café
(et sous l'oeil de Jim Jarmusch)...

- Come on, have some coffee.
- Okay, coffee it is.
- Are those your cigarettes?
- No, they were just sitting here when I got here.
- You don't smoke, do you?
- No. I gave it up.
- Not for me, either.
- Boy, enough of that.
- That was enough, 25 big ones.
- Finished !
- Got the energy now !
- Since I quit, I mean, just everything...
- Yeah, you're focused !
 - Zeroed in. Bang, you know?

- Me, too.
- I feel sorry for suckers still puffing away, you know?
- No willpower.
- No willpower. Pacifier.
- Silly.
- You know, the beauty of quitting is now that I've quit...  I can have one. Because I've quit. I mean, it's just like jewelry. You know, it's not really...I don't even inhale. You want to join me in one?
- Well, yeah, since I quit. Okay.
- Now that you've quit, you can have one.
- Sure, yeah. I can do that. All right.
- Boy, thank you.
- Yeah, you know what I mean? Now that we've quit...
- Cigarettes and coffee, man. That's a combination.
- Can't beat it.


Jim Jarmusch, Coffee and Cigarettes (2003)
-
"Coffee and Cigarettes" est un film bavard, composé de onze courtes scènes cocasses, absurdes ou caustiques, où se retrouvent deux à trois personnes devisant en mode café/clope.
(feat. Roberto Benigni, Steve Buscemi, Iggy Pop, Tom Waits, Isaac de Bankolé, Cate Blanchett, Jack White, Meg White, GZA, RZA, Bill Murray)

mercredi 11 janvier 2017

Ma résurrection

Lorsque je serai mort par mort naturelle ou violente, si on trouve de l'argent dans mes poches, que les acteurs le boivent pour le salut de mon âme. Des biens mobiliers ou immobiliers je n'en ai pas, sinon ce corps coupable qui de toute façon ne m'appartient pas mais qui retournera à la terre mère : poussière à la poussière. Je demande seulement que ma tête ne partage pas le destin de mon corps et que mon crâne soit légué à une troupe de théâtre comme accessoire. Chaque fois que le fossoyeur en creusant et en chantant le jettera hors de la tombe de Yorick, et chaque fois qu'Hamlet le prendra dans ses mains et dira : "Ce crâne avait une langue, et pouvait chanter jadis", ce sera ma résurrection.

Notre crâne comme accessoire, collectif Les Sans Cou (2016)

lundi 9 janvier 2017

Quelque part en Bretagne...


... puis en Savoie

Excellente année à tous,
et merci d'être fidèle à ce blog !