Dernier passage de Salammbô, roman sanguinolent, où les scènes de bataille, sacrifice, torture ou lynchage sont légion. La souffrance est plus lente et moins brutale, lorsqu'elle est provoquée par la faim et la soif.
La soif les tourmentait encore plus, car ils n'avaient pas une goutte d'eau, les outres, depuis le neuvième jour, étant complètement taries. Pour tromper le besoin, ils s'appliquaient sur la langue les écailles métalliques des ceinturons, les pommeaux en ivoire, les fers des glaives. D'anciens conducteurs de caravanes se comprimaient le ventre avec des cordes. D'autres suçaient un caillou. On buvait de l'urine refroidie dans les casques d'airain.
Et ils attendaient toujours l'armée de Tunis ! La longueur du temps qu'elle mettait à venir, d'après leurs conjectures, certifiait son arrivée prochaine. [...]
«Ce sera pour demain !» se disaient-ils ; et demain se passait.
Au commencement, ils avaient fait des prières, des voeux, pratiqué toutes sortes d'incantations. A présent ils ne sentaient, pour leurs Divinités, que de la haine, et, par vengeance, tâchaient de ne plus y croire. [...]
On était trop faible pour abattre, d'un coup de pierre, les corbeaux qui volaient. Quelquefois, lorsqu'un gypaète, posé sur un cadavre, le déchiquetait depuis longtemps déjà, un homme se mettait à ramper vers lui avec un javelot entre les dents. Il s'appuyait d'une main, et, après avoir bien visé, il lançait son arme. La bête aux plumes blanches, troublée par le bruit, s'interrompait, regardait tout à l'entour d'un air tranquille, comme un cormoran sur un écueil, puis elle replongeait son hideux bec jaune ; et l'homme désespéré retombait à plat ventre dans la poussière. Quelques-uns parvenaient à découvrir des caméléons, des serpents. Mais ce qui les faisait vivre, c'était l'amour de la vie. Ils tendaient leur âme sur cette idée, exclusivement, - et se rattachaient à l'existence par un effort de volonté qui la prolongeait.
Salammbô, Gustave Flaubert (1862)
En bon fan de Mucha, j'ajoute ici sa version de la belle Salammbô
*
* *
En bon fan de Mucha, j'ajoute ici sa version de la belle Salammbô