lundi 28 juillet 2008

Songe d'une nuit d'été

Parfois on fait des songes étranges, inimaginables, contraires à la nature; au réveil on les évoque avec netteté, et alors une anomalie vous frappe. Vous vous souvenez surtout que la raison ne vous a manqué à aucun moment de votre rêve. Vous vous rappelez même avoir agi avec infiniment d'astuce et de logique pendant un temps fort long, cependant que des assassins vous entouraient, vous tendaient des embuches, dissumulaient leurs desseins et vous faisaient des avances amicales, alors que leurs armes étaient déjà prêtes et qu'ils n'attendaient plus qu'un signal. Vous vous remémorez enfin la ruse grâce à laquelle vous les avez trompés en vous dissimulant à leurs yeux ; mais vous avez deviné qu'ils avaient déjoué votre stratagème et qu'ils faisaient seulement semblant d'ignorer votre cachette; alors vous avez eu recours à un nouveau subterfuge et réussi encore une fois à leur donner le change. Tout cela vous revient clairement en mémoire. Mais comment concevoir que, dans ce même laps de temps, votre raison ait pu admettre des absurdités et des invraisemblances aussi manifestes que celles dont fourmillait votre rêve? Un de vos assassins s'est transformé en femme sous vos yeux, puis cette femme en un petit nain rusé et repoussant. Et vous, vous avez accepté aussitôt tout cela comme un fait, presque sans la moindre surprise, au moment même où votre entendement se livrait, par ailleurs, à un rigoureux effort et à des prodiges d'énergie, d'astuce, de pénétration et de logique.


Pourquoi encore, lorsque vous vous éveillez et réintégrez la vie réelle, sentez-vous presque toujours, et parfois avec une extraordinaire intensité d'impression, que vous venez de laisser, avec le domaine du rêve, une énigme non résolue? Vous souriez de l'absurdité de votre rêve et vous avez en même temps le sentiment que ce fatras d'extravagances enserre une sorte de pensée, une pensée réelle appartenant à votre vie actuelle, quelque chose qui existe et a toujours existé dans votre coeur. C'est comme si une révélation prophétique, attendue par vous, vous était apportée dans votre songe; il vous en reste une forte émotion, joyeuse ou douloureuse, mais vous n'arrivez ni à comprendre, ni à vous rappelez nettement en quoi elle consistait.

Dostoïevski, L'idiot (1868*)

(*) 1868, càd avant la parution de De l'interprétation des rêves de Freud (1900) et des notions de contenus "manifeste" et "latent" des rêves

5 commentaires:

  1. Magnifique illustration du texte de Dostoïevski cher Aymeric.

    Je doute par contre que tu aies aimé le film ...

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  2. Tu plaisantes, j'avais beaucoup aimé! et beaucoup ri! Rebelotte pour 'Be Kind, Rewind', d'ailleurs...

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  3. ça n'interesse surement personne , mais j'en profite quand meme dire qu'apres avoir rêvé de piscines diverses et variées, voire de mer ou de lacs, pendant environ 2 ans, ça m'est passé ...
    Dostoïevski a t'il un commentaire là-dessus ? (ou Freud, mais je me méfie)

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  4. Pas dit qu'internet et google nous disent des choses intéressantes là-dessus, en tout cas. Mais ca serait une bonne idée, non, un blog participatif ou tout le monde pourrait raconter ses reves?

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  5. Et ensuite les interpréter ...

    Je sais pas, moi je dirais que rêver de mer et de piscine, on peut l'interpréter dans la réalité comme marcher dans l'inconnu, avancer dans le flou !

    Maintenant, Célinette, tu es déterminée, tu sais où tu vas ! Plus de mer ! Mais tu vas bientôt passer à la montagne dans les rêves ... ;-)

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