samedi 10 mai 2014

Moi ! faire le mal ?

Si vous êtes familiers des usages de l'internet, vous connaissez l'abréviation MRW (My Reaction When) généralement suivie d'une situation et d'un "reaction gif" décalé ou outrancier (sur la base d'un extrait de film, série, animé...).
C'est évidemment plus percutant que le même concept étendu à des citations littéraires.

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Peu à peu, ma tête s’exaltait, et des idées de plus en plus sombres me remuaient et m’épouvantaient ; une puissance irrésistible m’entraînait à descendre en moi.

Faire le mal ! tel était donc le rôle que la Providence m’avait imposé ! Moi, faire le mal ! moi à qui ma conscience, au milieu de mes fureurs mêmes, disait pourtant que j’étais bon ! moi qu’une destinée impitoyable entraînait sans cesse plus avant dans un abîme, et à qui en même temps une horreur secrète montrait sans cesse la profondeur de cet abîme où je tombais ! moi qui partout, malgré tout, eussé-je commis un crime et versé le sang de ces mains que voilà, me serais encore répété que mon cœur n’était pas coupable, que je me trompais, que ce n’était pas moi qui agissais ainsi, mais mon destin, mon mauvais génie, je ne sais quel être qui habitait le mien, mais n’y était pas né ! moi ! faire le mal ! Depuis six mois j’avais accompli cette tâche ; pas une journée ne s’était passée que je n’eusse travaillé à cette œuvre impie, et j’en avais en ce moment même la preuve devant les yeux. L’homme qui avait aimé Brigitte, qui l’avait offensée, puis insultée, puis délaissée, quittée pour la reprendre, remplie de craintes, assiégée de soupçons, jetée enfin sur ce lit de douleur où je la voyais étendue, c’était moi ! Je me frappais le cœur, et en la voyant, je n’y pouvais croire. Je contemplais Brigitte ; je la touchais comme pour m’assurer que je n’étais pas trompé par un songe. Mon propre visage que j’apercevais dans la glace, me regardait avec étonnement. Qu’était-ce donc que cette créature qui m’apparaissait sous mes traits ? qu’était-ce donc que cet homme sans pitié qui blasphémait avec ma bouche et torturait avec mes mains ? Était-ce lui que ma mère appelait Octave ? était-ce lui qu’autrefois, à quinze ans, parmi les bois et les prairies, j’avais vu dans les claires fontaines où je me penchais avec un cœur pur comme le cristal de leurs eaux ?

Je fermais les yeux, et je pensais aux jours de mon enfance. [...] Puis, tout à coup, je rouvrais les yeux, et je retrouvais, à la lueur de la lampe, la réalité devant moi.

« Et tu ne te crois pas coupable ? me demandai-je avec horreur. Ô apprenti corrompu d’hier ! parce que tu pleures, tu te crois innocent ? Ce que tu prends pour le témoignage de ta conscience, ce n’est peut-être que du remords ? et quel meurtrier n’en éprouve pas ? Si ta vertu te crie qu’elle souffre, qui te dit que ce n’est pas parce qu’elle se sent mourir ? Ô misérables ! ces voix lointaines que tu entends gémir dans ton cœur, tu crois que ce sont des sanglots ; ce n’est peut-être que le cri de la mouette, l’oiseau funèbre des tempêtes, que le naufrage appelle à lui. Qui t’a jamais raconté l’enfance de ceux qui meurent couverts de sang ? Ils ont aussi été bons à leurs jours ; ils posent aussi leurs mains sur leur visage pour s’en souvenir quelquefois. Tu fais le mal et tu te repens ? Néron aussi, quand il tua sa mère. Qui donc t’a dit que les pleurs nous lavaient ?

Alfred de Musset, La Confession d'un Amant du Siècle (1836)

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(ma réaction lorsque [je] réalise avoir mal aimé)

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