vendredi 20 juillet 2007

tout sera oublié et rien ne sera réparé

Words from...
La Plaisanterie, Milan Kundera

Et comme Lucie m'était devenue un passé définitif (qui en tant que passé vit toujours, et en tant que présent est mort), lentement elle perdait pour moi son apparence charnelle, matérielle, concrète, pour de plus en plus se défaire en légende, en mythe écrit sur parchemin et caché dans une cassette de métal déposée au fond de ma vie.
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Une vague de colère contre moi-même m'inonda, colère contre mon âge d'alors, contre le stupide âge lyrique, où l'on est à ses propres yeux une trop grande énigme pour pouvoir s'intéresser aux énigmes qui sont en dehors de soi et où les autres (fussent-ils les plus chers) ne sont que miroirs mobiles dans lesquels on retrouve étonné l'image de son propre sentiment, son propre trouble, sa propre valeur.
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Ajournée, la vengeance se transforme en leurre, en religion personnelle, en mythe chaque jour davantage détaché de ses propres acteurs qui, dans le mythe de la vengeance, restent inchangés bien qu'en fait ils ne soient plus ce qu'ils étaient: un autre Jahn a devant lui un autre Zemanek et la gifle que je lui dois ne peut être ressuscitée, ni reconstituée, est perdue à jamais.
[...]
Oui, j'y voyais clair soudain: la plupart des gens s'adonnent au mirage d'une double croyance: ils croient à la pérennité de la mémoire (des hommes, des choses, des actes, des nations) et à la possibilité de réparer (des actes, des erreurs, des péchés, des torts). L'une est aussi fausse que l'autre. La vérité se situe juste à l'opposé: tout sera oublié et rien ne sera réparé. Le rôle de la réparation (et par la vengeance et par le pardon) sera tenu par l'oubli. Personne ne réparera les torts commis, mais tous les torts seront oubliés.

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