lundi 30 mars 2015

Le bulbulement des bières

Trouscaillon et la veuve Mouaque avaient déjà fait un bout de chemin lentement côte à côte mais droit devant eux et de plus en silence, lorsqu’ils s’aperçurent qu’ils marchaient côte à côte lentement mais droit devant eux et de plus en silence. Alors ils se regardèrent et sourirent : leurs eux cœurs avaient parlé. Ils restèrent face à face en se demandant qu’est-ce qu’ils pourraient bien se dire et en quel langage l’esprimer. Alors la veuve proposa de commémorer sur-le-champ cette rencontre en asséchant un glasse et de pénétrer à cette fin dans la salle de café du Vélocipède boulevard Sébastopol, où quelques halliers déjà s’humectaient le tube ingestif avant de charrier leurs légumes. Une table de marbre leur offrirait sa banquette de velours et ils tremperaient leurs lèvres dans leurs demi’toyens en attendant que la serveuse à la chair livide s’éloigne pour laisser enfin les mots d’amour éclore à travers le bulbulement de leurs bières. A l’heure où se boivent les jus de fruits aux couleurs fortes et les liqueurs fortes aux couleurs pâles, ils resteraient posés sur la susdite banquette de velours échangeant, dans le trouble de leurs mains enlacées, des vocables prolifiques en comportements sexués dans un avenir peu lointain.


Raymond Queneau, Zazie dans le métro (1959)

lundi 23 mars 2015

Ou alors ça n'est pas une oeuvre d'art


Ecoute, tu sais, j'aime pas tellement cette idée de raconter sa genèse, de critiquer ses parents, de les salir. Je suis assez ignorante, je sais, mais je suis certaine d'une chose : c'est qu'une oeuvre d'art ne peut pas être un règlement de compte. Ou alors ça n'est pas une oeuvre d'art.

Domicile conjugal, François Truffaut (1970)

vendredi 20 mars 2015

[Nous] voilà rendus tous à la lumière

C'est le printemps !

Les torrents et les ruisseaux ont rompu leur prison de glace au sourire doux et vivifiant du printemps ; une heureuse espérance verdit dans la vallée ; le vieil hiver, qui s'affaiblit de jour en jour, se retire peu à peu vers les montagnes escarpées. Dans sa fuite, il lance sur le gazon des prairies quelques regards glacés mais impuissants ; le soleil ne souffre plus rien de blanc en sa présence, partout règnent l’illusion, la vie ; tout s'anime sous ses rayons de couleurs nouvelles. Cependant prendrait-il en passant pour des fleurs cette multitude de gens endimanchés dont la campagne est couverte ? Détournons-nous donc de ces collines pour retourner à la ville. Par cette porte obscure et profonde se presse une foule toute bariolée : chacun aujourd'hui se montre avec plaisir au soleil ; c'est bien la résurrection du Seigneur qu'ils fêtent, car eux-mêmes sont ressuscités. Échappés aux sombres appartements de leurs maisons basses, aux liens de leurs occupations journalières, aux toits et aux plafonds qui les pressent, à la malpropreté de leurs étroites rues, à la nuit mystérieuse de leurs églises, les voilà rendus tous à la lumière. Voyez donc, voyez comme la foule se précipite dans les jardins et dans les champs ! que de barques joyeuses sillonnent le fleuve en long et en large !… et cette dernière qui s’écarte des autres chargée jusqu'aux bords. Les sentiers les plus lointains de la montagne brillent aussi de l'éclat des habits. J'entends déjà le bruit du village ; c'est vraiment là le paradis du peuple ; grands et petits sautent gaiement : ici je me sens homme, ici, j'ose l’être.

Faust, Goethe (1808)

8 mois que je patiente pour publier ce passage de Faust. Version originale ci-dessous, pour les germanophones et -philes.


Vom Eise befreit sind Strom und Bäche
Durch des Frühlings holden, belebenden Blick;
Im Tale grünet Hoffnungsglück;
Der alte Winter, in seiner Schwäche,
Zog sich in rauhe Berge zurück.
Von dorther sendet er, fliehend, nur
Ohnmächtige Schauer kornigen Eises
In Streifen über die grünende Flur;
Aber die Sonne duldet kein Weißes,
Überall regt sich Bildung und Streben,
Alles will sie mit Farben beleben;
Doch an Blumen fehlt's im Revier
Sie nimmt geputzte Menschen dafür.
Kehre dich um, von diesen Höhen
Nach der Stadt zurückzusehen.
Aus dem hohlen finstern Tor
Dringt ein buntes Gewimmel hervor.
Jeder sonnt sich heute so gern.
Sie feiern die Auferstehung des Herrn,
Denn sie sind selber auferstanden,
Aus niedriger Häuser dumpfen Gemächern,
Aus Handwerks- und Gewerbesbanden,
Aus dem Druck von Giebeln und Dächern,
Aus der Straßen quetschender Enge,
Aus der Kirchen ehrwürdiger Nacht
Sind sie alle ans Licht gebracht.
Sieh nur, sieh! wie behend sich die Menge
Durch die Gärten und Felder zerschlägt,
Wie der Fluß, in Breit und Länge
So manchen lustigen Nachen bewegt,
Und bis zum Sinken überladen
Entfernt sich dieser letzte Kahn.
Selbst von des Berges fernen Pfaden
Blinken uns farbige Kleider an.
Ich höre schon des Dorfs Getümmel,
Hier ist des Volkes wahrer Himmel,
Zufrieden jauchzet groß und klein:
Hier bin ich Mensch, hier darf ich's sein!

mercredi 18 mars 2015

La chronique des cœurs saignants

Charles effectivement attendait en lisant dans une feuille hebdomadaire la chronique des cœurs saignants. Il cherchait, et ça faisait des années qu’il cherchait, une entrelardée à laquelle il puisse faire don des quarante-cinq cerises de son printemps. Mais les celles qui, comme ça, dans cette gazette, se plaignaient, il les trouvait toujours soit trop dindes, soit trop tartes. Perfides ou sournoises. Il flairait la paille dans les poutrelles des lamentations et découvrait la vache en puissance dans la poupée la plus meurtrie.

Raymond Queneau, Zazie dans le métro (1959)

vendredi 13 mars 2015

Signs that say what you want them to say

J'étais la semaine précédente de passage à Metz. L'occasion de me rendre au Centre Pompidou Metz.
Best of *.


(*) (du stand cartes postales de la librairie... le temps manquait cruellement)

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Mishka Henner, Dutch landscapes (2011)
Kasimir Malevitch, Carré Rouge (1915)
Gillian Wearing, Self-portrait at 17 years old (2003)
Gillian Wearing, Signs that say what you want them to say and not Signs that say what someone else wants you to say (1992)
Yves Klein, Peinture[s] de feu (1961)
Gerhard Richer, petite baigneuse (1994)
Bruno Mouron, Kate Moss lors de la Fashion week de Paris (1992)

mercredi 11 mars 2015

You must accept that I have no faith (since I accept that you have yours)

Well I can accept that you have your faith
So you must accept that I have none
You chase your god into your grave
I'll die alone when my days are done
All these fabulous beasts that you strike down
All this beautiful land that you claim to command
And all these wars in the name of a book
There's god in your heart but there's blood on your hands

So where are you fires of hell
So where now your golden gates
I see no angels, no heaven on high
I hear no marching of your saints
Go placidly amongst the noise and haste

Well, I know your churches are a sight to behold
And I know your stories as good as any man
I know we all have our crosses to bear
But I'll waste none of my time in desperate prayer
I've rung the bells of the Mont St-Michel
But me and the saviour were never that close
I've called into the night with no hope of reply
But I've seen the holes in the holy ghost

So where now, your peace to all men
So where now, your undeniable proof
Where is it written, in paper or stone
An eye for an eye and a tooth for a tooth


Piano Magic - March Of The Atheists
Ovations (Make Mine Music, 2009)



lundi 9 mars 2015

Encore faire appel à la violence

Paris, Gare d'Austerlitz. Gabriel attend sa nièce. Avec la chaleur, les odeurs, l'ambiance s'électrise, et certains propos désobligeants se font entendre.

Le ptit type examina le gabarit de Gabriel et se dit c’est un malabar, mais les malabars c’est toujours bon, ça profite jamais de leur force, ça serait lâche de leur part. Tout faraud, il cria :
– Tu pues, eh gorille.
Gabriel soupira. Encore faire appel à la violence. Ça le dégoûtait cette contrainte. Depuis l'hominisation première, ça n'avait jamais arrêté. Mais enfin fallait ce qu'il fallait. C'était pas de sa faute à lui, Gabriel, si c'était toujours les faibles qui emmerdaient le monde. Il allait tout de même laisser une chance au moucheron.
– Répète un peu voir, qu'il dit Gabriel.
Un peu étonné que le costaud répliquât, le ptit type prit le temps de fignoler la réponse que voici :
– Répéter un peu quoi ?
Pas mécontent de sa formule, le ptit type. Seulement, l'armoire à glace insistait : elle se pencha pour proférer cette pentasyllabe monophasée :
– Skeutadittaleur…
Le ptit type se mit à craindre. C’était le temps pour lui, c’était le moment de se forger quelque bouclier verbal. Le premier qu'il trouva fut un alexandrin :
– D'abord, je vous permets pas de me tutoyer.
– Foireux, répliqua Gabriel avec simplicité.
Et il leva le bras comme s'il voulait donner la beigne à son interlocuteur. Sans insister, celui-ci s'en alla de lui-même au sol, parmi les jambes des gens. Il avait une grosse envie de pleurer.

Raymond Queneau, Zazie dans le métro (1959)

samedi 7 mars 2015

Nowhere to hide

Attention, je spoile un peu le déroulé de Melancholia (le film de Lars von Trier)...



- I'm afraid that the planet would hit us anyway...
- Don't be. Please.
- Dad says there's nothing to do then. Nowhere to hide.
- If your dad said that, then he's forgotten about something. He's forgotten about the magic cave.


Je concède avoir longtemps boycotté les films de Lars Von Trier. Depuis Dogville (2003). Si je n'ai eu à fournir aucun effort pour esquiver Manderlay (la suite de dogville... film oublié?), Antichrist ou Nymphomaniac, il en fût autrement avec Melancholia (2011). Du titre, des affiches ou des images du film se dégage en effet une atmosphère particulière, teintée d'une lumière artificielle troublante - un comble pour une réalisation du fondateur du Dogme. Grand bien m'a pris de voir ce film.



Melancholia s'ouvre sur une séquence visuelle annonçant la catastrophe finale, au son de l'impressionnant prélude wagnérien de Tristan et Iseult. Débute alors la première partie du film ("Justine"), assez peu intéressante en soi (surtout pour qui a vu Festen), mais indispensable pour la suite. Tout en emmenant le spectateur sur une fausse piste, l'ambiance le "prépare" à la seconde partie ("Claire").
Et là, ça rigole pas, puisqu'on y vit la fin du monde.

Je n'en dis pas plus. Si j'ai souhaité écrire sur ce film, c'est pour les questionnements philosophiques / métaphysiques qu'il ne manquera pas de soulever en vous.
Par exemple, celui abordé dans le précédent article, où Justine affirme :
"When I say we're alone, we're alone. Life is only on earth, and not for long."

Tout le monde s'est posé la question un jour d'une possible (probable?) vie extra-terrestre.
Mais quid d'un monde sans vie?
Un univers de centaines de milliards d'étoiles et planètes, régies par des lois physiques (la gravité)... mais sans personne pour le percevoir?
Sans "sujet", dirait-on en Philosophie.

Le film se conclut de manière abrupte par un long écran noir :
Sans sujet, pas d'objet
(cf. l'Idéalisme)

Lars Von Trier, Melancholia (2011)

vendredi 6 mars 2015

I know we are alone

Justine: The earth is evil. We don't need to grieve for it.
Claire: What?
J: Nobody will miss it.
C: But where would Leo grow?
J: All I know is, life on earth is evil.
C: Then maybe [there's] life somewhere else.
J: But there isn't.
C: How do you know?
J: Because I know things.
C: Oh yes, you always imagined you did.
J: I know we're alone. [...] And when I say we're alone, we're alone. Life is only on earth, and not for long.

Lars Von Trier, Melancholia (2011)
J'en écrirai d'avantage sur ce film dans un prochain post (demain?)


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mardi 3 mars 2015

Heartbeat [Top Tape]


Une mixtape nouvelle est arrivée ! L'émission a été diffusée sur Radio Campus Paris dimanche dernier, et vous avez pu y retrouver : Casiotone For The Painfully Alone, Console, Rémi Parson, Jimmy Whispers, Half-Handed Cloud, Built To Spill, Diabologum, Mount Eerie, Siskiyou, Requin Chagrin, Radical Face, Sufjan Stevens, Le Bâtiment, the Keys, Computer Magic et Yumi Zouma.

Playlist complète, Ecoute sur le site de la radio :
Archives sur l'ancien site de la radio :

lundi 2 mars 2015

Enfin, la vie apprivoisée

En douceur, en profondeur
Dans l’écume du destin
Après la course des heures
Sans plus jamais compter les points

Sans une peine, sans un remords
Sans amertume, en plein accord
Chemin faisant, jamais très loin
De la caresse du matin

A l’aube claire, le ventre nu
Dans le plein ciel et plein la vue
Dans le sillage d’un bateau
Ou dans la course d’un cerceau

Au fond du temps, au point du jour
A l’issue d’un beau parcours
Sans un regret et sans chagrin
Sans plus penser à demain

Le cœur léger de ne plus porter
Ce qui hier pesait si lourd
Le cœur à neuf, bien nettoyé
Et dans la soie et le velours

Je partirai…

En brasse coulée vers l’horizon
Revenu de toute illusion
En solitaire, en liberté
Pas entravé, pas enchaîné

Comme on récolte une moisson
De rêves faisant provision
Au clair de lune, au clair de terre
Dans la cendrée, dans la lumière

Dans l’abondance, la profusion
Non pas sans un, sans solution
La bouche pleine d’un poème
Qui dit que ça valait la peine

La barbe drue, tête chenue
Le corps lavé de tout soupçon
La fierté des invaincus
Et cette joie qui dit son nom

Epris d’une longue éternité
Et à jamais réconcilié
Enfin la vie apprivoisée
Dans l’inflexion d’une nuit d’été

Je reviendrai…

Bertrand Betsch, La Vie Apprivoisée

Le prochain album de Bertrand Betsch est actuellement en cours de financement (participatif), via le site Microcultures