mercredi 26 février 2014

The Long Bright Dark

True Detective poursuit sa route. Pour l'heure, je n'émets aucune réserve sur cette série. Si j'ai pu penser l'espace d'un épisode (S1E04) qu'elle s'acheminait vers des territoires connus, dès le suivant, le cours de l'histoire m'a détrompé... Et c'est à ce moment que le dispositif narratif prend tout son relief.

Il est bien probable que seuls ceux qui regardent la série comprenne ce que j'écris là... mais c'est que je tiens à ne spoiler personne !

Puisque je ne peux rien dire, ni même restituer l'ambiance sonore des plus réussies, parlons photographie et admirons la Louisiane.


True Detective, Nic Pizzolatto (2014)

lundi 24 février 2014

Paint a Smile on me

Je ne sais pas trop d'où ca vient, mais il faut bien le constater, souvent, le folkeux dessine. Devendra Banhart, Jeffrey Lewis, Kyle des Little Wings, David Ivar Herman Düne...  et leur aîné qui les a peut-être indirectement encouragés : Daniel Johnston.

Peut-être ferai-je un jour de ce "trait" commun une saga estivale, sur ce blog... ne serait-ce que pour présenter les spécificités de chacun.

Pas de circonvolutions aujourd'hui, j'en viens directement au fait : l'exposition de certaines des oeuvres récentes de David-Ivar Black Yaya à la galerie Nivet-Carzon à Paris (2 rue Geoffroy Langevin, dans le IVe).

Si je n'ai jamais vraiment été convaincu par ses Yetis bleu, j'ai vu ici de belles choses, qui plus est très bien exécutées (peintures, sculptures). Pas moyen de dénicher les visuels correspondants sur internet, je me contenterai donc d'oeuvres approchantes


Ca dure jusqu'au 8 mars, ne tardez pas.

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Cette visite aura marqué la fin d'une quinzaine musicale assez chargée me concernant, avec une série de concerts successivement 8bits / Folk / Chanson pop / Electro / Ambient et enfin Indie rock.

Elle a commencé le 10 février avec Anamanaguchi, ce groupe new-yorkais adepte de chiptune.
C'est d'avantage la curiosité qui m'a poussé à aller au point FMR ce soir-là (après tout, le sujet m'intéresse, cf. Top Tape Vol.3 S1).
Musique instrumentale la plupart du temps, qui n'est pas de la pure 8-bit, puisque les membres du groupe jouent avec de vrais instruments (guitares + basse + batterie).
Le tout pour un résultat assez (vidéo-)ludique, donné devant un public très jeune !


Deux jours plus tard, Bill Callahan relevait à fois la moyenne d'âge et le niveau à la Cigale. Rien à redire musicalement, tout est parfait, la voix de Bill, son batteur, son guitariste.
Concert peut-être un poil trop homogène, avec ce regret, toujours, celui de ne jamais pouvoir entendre le Smog des débuts, infiniment plus touchant selon moi.

Jeudi, Autour de Lucie au 104 (13 ans après les avoir vus à Grenoble) : je réserve mon jugement et préfère attendre l'album à l'automne prochain pour me prononcer.

Vendredi Espace B, avec Alex June et San Carol, venus pour la soirée Radio Campus Paris. Chouette moment, bonne ambiance, artistes très sympas.
On va remettre ça en mai, du coup (avec d'autres groupes, hein). 

Rebelotte le lendemain, toujours à l'Espace B, avec le concert totalement captivant de Loscil (que j'aurais volontiers vu prolongé d'une heure). A ma grande surprise : le meilleur concert de ce début d'année...



...même si Yuck a fait très très fort Vendredi.
Et qu' il me reste encore à voir pour Février la double affiche Islands + Angil, Vendredi @Petit Bain !

samedi 22 février 2014

Nul ne devait plus pouvoir lui arracher cette conquête

Nous avions laissé K. exténué, après une longue marche dans la neige. Il récupérera rapidement ses forces, plus qu'utiles vu l'énergie qu'il est nécessaire de déployer face aux barrières administratives auxquelles il est confronté.

J'aurais voulu reproduire un passage illustrant ces difficultés (notamment lors de son entrevue avec le maire du village), mais je ne vois rien de bien blogogénique. Sans doute les extraits du "Procès" qui suivront rempliront-ils cet office. 

Comme dans un mauvais rêve, on a l'impression que, quels que soient les efforts investis, aucune avancée ne pourra résulter d'aucun dialogue, tant l'incompréhension entre K. et les locaux est grande. Si l'arpenteur est ouvert au dialogue, il se heurte à des interlocuteurs lui assénant des vérités, et répondant de manière toujours biaisée à ses questionnements rationnels, visant avant tout à comprendre les raisons intrinsèques de telle ou telle impossibilité (afin de les mieux contourner)
Malheureusement, on lui oppose toujours ce genre d'arguments :

Vous êtes terriblement ignorant de toutes les choses d'ici, on est saisi de vertige à vous entendre, quand on compare ce que vous dîtes et pensez avec la situation réelle. Cette ignorance ne peut pas se corriger en une fois, elle ne le pourra peut-être jamais, mais il y a bien des choses qui peuvent aller mieux si vous me croyez seulement un tout petit peu et si vous voulez vous représenter sans cesse la gravité de cette ignorance.

Je répète qu'il s'agit d'un roman "à ambiance". A cet égard, ça n'est presque pas très grave qu'il soit inachevé (Eh, oui)

Cette introduction étant faite, vous comprendrez mieux qu'on retrouve une nouvelle fois K. quelques pages plus loin terriblement épuisé, luttant contre le sommeil, alors même qu'il a enfin réussi à entrer en contact avec un fonctionnaire du château.
La scène se passe lors d'un "interrogatoire de nuit", dans la chambre d'un certain Bürgel.

K lutte contre le sommeil... Sensation bien connue pour qui s'est retrouvée dans une réunion soporifique post-prandiale.

K. [...] ne distinguait même pas les demandes que Bürgel faisait pour avoir une réponse et celles qui n’étaient qu’une fiction. Si tu me laisses coucher dans ton lit, pensait-il à part soi, je te donnerai demain à midi toutes les réponses que tu voudras ; ou le soir si tu préfères ; ce sera même encore mieux. Mais Bürgel ne semblait pas lui prêter attention, il était trop occupé de la question qu’il s’était posée à lui-même.


J'ai déjà pensé ça, moi aussi.
"Juste, laissez-moi sortir et fermer les yeux 15 minutes, et je reviens d'attaque pour la suite !"
Et quel bien-être cela doit être de pouvoir laisser le sommeil gagner en de tels moments !
C'est usuellement malheureusement impossible.
En résultent des micro-absences :

K fut tiré par cette question du demi-sommeil où il baignait depuis un instant. « Pourquoi tout cela ? Pourquoi tout cela ?» se demandait-il en regardant Bürgel d’un regard qui filtrait avec difficulté entre ses paupières à demi-fermées, non comme un fonctionnaire discutant avec lui de questions hautement délicates, mais comme un vague objet qui l'empêchait de dormir, et à quoi il n’eût pu découvrir d’autre usage.


K. cessera rapidement de lutter.

Il dormait ; ce n’était pas d’un sommeil véritable ; Il entendait les discours de Bürgel peut-être plus nettement qu’éveillé, dans l’accablement de la fatigue ; il distinguait chaque mot, mais du fond d’une âme inconsciente, adieu son importune conscience, il se sentait parfaitement libre, Bürgel ne le retenait plus, le sommeil avait fait son œuvre, s’il n’était pas au fond du gouffre il était déjà submergé. Nul ne devait plus pouvoir lui arracher cette conquête. Il lui semblait qu’il venait de remporter un triomphe et que déjà toute une société se trouvait là pour le célébrer ; il levait son verre de champagne en l’honneur de cette victoire (si ce n’était lui, c’était un autre, peu importe).

On retrouve ici ces sortes de micro-rêves instantanés (souvent absurdes) qu'on peut faire en état de somnolence... Pas vous ?

Franz Kafka, Le château (1935)

jeudi 20 février 2014

Poster of the Week

Je l'admire ces temps-ci tous les soirs au détour d'un couloir de métro


(illustration Till Gerhard, dont je vais tâcher de vous reparler tantôt)

mardi 18 février 2014

What happened to Detroit ?

J'ai déjà publié ici des images de la ville fantôme de Ordos, en Chine. Il s'agissait d'une vie nouvelle. Mais les déserts urbains peuvent également se rencontrer dans des villes anciennes. La destinée de Détroit ne vous est sans doute pas étrangère (parce que les médias l'ont pas mal relayée).
Fondée en 1701 (par un Français, soit dit en passant), la ville comptait 285'000 habitants en 1910, 1'850'000 en 1950, et 713'000 en 2010. Elle s'est donc dépeuplée à grande échelle. Crise de ses industries automobiles, pauvreté des habitants, dette abyssale de la ville (18.5 milliards de dollars en juillet 2013) : ceci explique les nombreux bâtiments publiques et habitations délabrés et laissés à l'abandon.


Les photographies ci-dessus proviennent du site Detroiturbex.com. Allez-y, il y a beaucoup à lire et voir. Leur mot d'ordre :

Detroit has no other option but to change.
Detroiturbex.com is documenting that change

Une récente série de photos se charge de rappeler la vie qui coulait autrefois dans certains de ses bâtiments, et notamment le lycée technique Lewis Cass.
Emouvant.

lundi 17 février 2014

Une vraie fatigue

Je me souviens à la fin du mois de décembre 2012 être ressorti de Gibert Jeune très satisfait de mes achats, et enthousiaste à l'idée de relire "Le château" de Kafka - oui, je RElis des livres.
Je gardais un très bon souvenir de ce roman, et surtout de l'atmosphère qui s'en dégage. Qui plus est, l'histoire se déroule en hiver, donc la période était propice.

Le Château narre l'histoire d'un arpenteur (K.), ayant reçu un ordre de mission de la part de l'Administration d'un village. Venu de loin, il devra se familiariser avec les us locaux, et rencontrera toutes les difficultés du monde pour contacter le fonctionnaire l'ayant sollicité.

Le personnage principal évolue dans un périmètre géographique restreint, de telle sorte qu'on devient vite familier des quelques lieux et habitants décrits.
La progression temporelle est continue : On accompagne K. en chaque instant, chaque jour comme chaque nuit (qu'il soit hébergé chez des hôtes ou revienne au logement temporaire dont il bénéficie).
Il s'agit donc d'un livre immersif.

A ceci s'ajoute l'aspect kafkaïen. Dans "Le Château", comme dans un (mauvais) rêve, tout est incroyablement difficile et laborieux, alors même que la situation paraît triviale : les méandres bureaucratiques bien sûr, mais également le moindre dialogue avec les autochtones... ou même parfois le simple fait de se mouvoir, comme en témoigne l'extrait suivant :


K. restait distrait, fâché de l’entretien. Pour la première fois depuis son arrivée il ressentait une vraie fatigue. Le long chemin qu’il avait dû faire pour venir ne l’avait pas épuisé pendant l’effort lui-même ; comme il avait marché patiemment ces jours-là, pas après pas, sur cette longue route ! Les suites de ce surmenage se faisaient sentir maintenant, et c’était au mauvais moment. Il éprouvait un irrésistible besoin de faire de nouvelles connaissances, mais toutes celles qu’il trouvait augmentaient sa fatigue. S’il se contraignait dans son état présent à poursuivre sa promenade jusqu'à l’entrée du Château, ce serait plus que suffisant.

Il poursuivit donc son chemin ; mais que ce chemin était long! En effet la route qui formait la rue principale du village, ne conduisait pas à la hauteur sur laquelle s’élevait le Château, elle menait à peine au pied de cette colline, puis faisait un coude qu’on eût dit intentionnel, et, bien qu’elle ne s’éloignât pas davantage du Château, elle cessait de s’en rapprocher. K. s’attendait toujours à la voir obliquer vers le Château, c’était ce seul espoir qui le faisait continuer ; il hésitait à lâcher la route, sans doute à cause de sa fatigue, et s’étonnait de la longueur de ce village qui ne prenait jamais de fin ; toujours ces petites maisons, ces petites vitres givrées et cette neige et cette absence d'hommes... Finalement il s'arracha à cette route qui le gardait prisonnier et s’engagea dans une ruelle étroite ; la neige s’y trouvait encore plus profonde ; il éprouvait un mal horrible à décoller ses pieds qui s’enfonçaient, il se sentit ruisselant de sueur et soudain il dut s’arrêter, il ne pouvait plus avancer.

Franz Kafka, Le château (1935)

jeudi 13 février 2014

I was staring at the sky

Good trade for you, wasn't it?
A real bargain, wasn't it?

__You got my last money and I got a kick in the head. You left me there lying in the grass, as if it was my bed. Then you ran away, thought I was dead. 
I remember lying there..
__ - What was I?
__ - Staring !

I was staring at the sky, thinking: Well, if the grass is my bed then the the sky is my blanket.

First floor power - blanket sky
Nerves (Telescopic, 2003)


Je pense qu'à peu près personne ne connaît ce groupe suédois... (détrompez-moi, en cas)
J'aime leurs paroles qui savent être visuelles, narratives et transmettre une émotion. Les quelques lignes ci-dessus suffisent à raconter une histoire, décrire une situation et les sentiments associés.
[]

J'aime avant tous les morceaux chantés par Karl-Jonas Winqvist, dont une poignée que je trouve remarquables et mémorables.
[dont celui-ci]

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*     *

Sinon, demain, 14 février est un jour spécial, puisque Radio Campus Paris organise sa première soirée à l'Espace B. Il y aura des concerts d'Alex June et San Carol (6.80€ en prévente, 8€ sur place)





Venez !

mercredi 12 février 2014

Le vente se lève ! Il faut tenter de vivre !

Parmi les quelques souvenirs emmagasinés lors de ma visite du Centre Pompidou Metz, il y a la découverte d'une poignée de vers de Paul Valery, lus et entendus au sein d'une vidéo (dont la teneur m'échappe aujourd'hui entièrement)

Le poème est très connu, il s'appelle "Le cimetière marin". Je le reproduis ici. La langue est tellement belle qu'elle donne envie de lire à haute voix (avec le rythme du décasyllabe). Vingt-quatre sizains : je doute que vous puissiez apprécier ce poème dans son entièreté dans ces colonnes... Mais en un rapide copier-coller et un minimum de mise en page, il tient sur un A4, et pourra être apprécié au premier moment de répit venu.

Le cimetière Saint-Charles de Sète qui inspira Paul Valéry...
Aujourd'hui renommé Cimetière Marin. Le poète y est enterré

Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée
O récompense après une pensée
Qu'un long regard sur le calme des dieux!

Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d'imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir!
Quand sur l'abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d'une éternelle cause,
Le temps scintille et le songe est savoir.

Stable trésor, temple simple à Minerve,
Masse de calme, et visible réserve,
Eau sourcilleuse, Oeil qui gardes en toi
Tant de sommeil sous une voile de flamme,
O mon silence! ... Édifice dans l'âme,
Mais comble d'or aux mille tuiles, Toit!

Temple du Temps, qu'un seul soupir résume,
À ce point pur je monte et m'accoutume,
Tout entouré de mon regard marin;
Et comme aux dieux mon offrande suprême,
La scintillation sereine sème
Sur l'altitude un dédain souverain.

Comme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt,
Je hume ici ma future fumée,
Et le ciel chante à l'âme consumée
Le changement des rives en rumeur.

Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!
Après tant d'orgueil, après tant d'étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m'abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir.

L'âme exposée aux torches du solstice,
Je te soutiens, admirable justice
De la lumière aux armes sans pitié!
Je te tends pure à ta place première,
Regarde-toi! ... Mais rendre la lumière
Suppose d'ombre une morne moitié.

O pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
Auprès d'un coeur, aux sources du poème,
Entre le vide et l'événement pur,
J'attends l'écho de ma grandeur interne,
Amère, sombre, et sonore citerne,
Sonnant dans l'âme un creux toujours futur!

Sais-tu, fausse captive des feuillages,
Golfe mangeur de ces maigres grillages,
Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,
Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,
Quel front l'attire à cette terre osseuse?
Une étincelle y pense à mes absents.

Fermé, sacré, plein d'un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d'or, de pierre et d'arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux!

Chienne splendide, écarte l'idolâtre!
Quand solitaire au sourire de pâtre,
Je pais longtemps, moutons mystérieux,
Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
Éloignes-en les prudentes colombes,
Les songes vains, les anges curieux!

Ici venu, l'avenir est paresse.
L'insecte net gratte la sécheresse;
Tout est brûlé, défait, reçu dans l'air
A je ne sais quelle sévère essence ...
La vie est vaste, étant ivre d'absence,
Et l'amertume est douce, et l'esprit clair.

Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
Midi là-haut, Midi sans mouvement
En soi se pense et convient à soi-même
Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement.

Tu n'as que moi pour contenir tes craintes!
Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes
Sont le défaut de ton grand diamant! ...
Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,
Un peuple vague aux racines des arbres
A pris déjà ton parti lentement.

Ils ont fondu dans une absence épaisse,
L'argile rouge a bu la blanche espèce,
Le don de vivre a passé dans les fleurs!
Où sont des morts les phrases familières,
L'art personnel, les âmes singulières?
La larve file où se formaient les pleurs.

Les cris aigus des filles chatouillées,
Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
Tout va sous terre et rentre dans le jeu!

Et vous, grande âme, espérez-vous un songe
Qui n'aura plus ces couleurs de mensonge
Qu'aux yeux de chair l'onde et l'or font ici?
Chanterez-vous quand serez vaporeuse?
Allez! Tout fuit! Ma présence est poreuse,
La sainte impatience meurt aussi!

Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée,
Qui de la mort fais un sein maternel,
Le beau mensonge et la pieuse ruse!
Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
Ce crâne vide et ce rire éternel!

Pères profonds, têtes inhabitées,
Qui sous le poids de tant de pelletées,
Êtes la terre et confondez nos pas,
Le vrai rongeur, le ver irréfutable
N'est point pour vous qui dormez sous la table,
Il vit de vie, il ne me quitte pas!

Amour, peut-être, ou de moi-même haine?
Sa dent secrète est de moi si prochaine
Que tous les noms lui peuvent convenir!
Qu'importe! Il voit, il veut, il songe, il touche!
Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
À ce vivant je vis d'appartenir!

Zénon! Cruel Zénon! Zénon d'Êlée!
M'as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas!
Le son m'enfante et la flèche me tue!
Ah! le soleil ... Quelle ombre de tortue
Pour l'âme, Achille immobile à grands pas!

Non, non! ... Debout! Dans l'ère successive!
Brisez, mon corps, cette forme pensive!
Buvez, mon sein, la naissance du vent!
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme ... O puissance salée!
Courons à l'onde en rejaillir vivant.

Oui! grande mer de délires douée,
Peau de panthère et chlamyde trouée,
De mille et mille idoles du soleil,
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l'étincelante queue
Dans un tumulte au silence pareil

Le vent se lève! ... il faut tenter de vivre!
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs!

Paul Valéry, le cimetière marin (1920)

Le premier vers du dernier sizain a inspiré Miyazaki pour son dernier film.
Il y est d'ailleurs cité intégralement, et en français dans le texte.

mercredi 5 février 2014

A language virus


Débat d'idées impromptu entre les détectives Rust Cohle et Martin Hart (dans la série True Detective), tandis qu'ils assistent à un prêche prononcé lors d'un rassemblement religieux.

: What do you think the average IQ of this group is?

M : Can you see Texas up there on your high horse? What do you know about these people?

R : Just observation and deduction. I see a propensity for obesity, poverty, a yen for fairy tales. Folks putting what bucks they do have into a wicker basket being passed around. Safe to say nobody here’s going to be splitting the atom, Marty.

M : See that? Your fuckin’ attitude. Not everybody wants to sit alone in an empty room and get off on murder manuals. Some folks enjoy community, common good.

R : If the common good’s got to make up fairy tales, it’s not good for anybody.

: Can you imagine if people didn’t believe, the things they would get up to?



R : The same things they do now, just out in the open.

M : Bullshit. It would be a fucking freak show of murder and debauchery, and you know it.

R : If the only thing keeping a person decent is the expectation of divine reward, then brother that person is a piece of shit. [...] What does it say about a life? You gotta get together and tell yourself stories that violate every law of the universe just to get through the goddamn day? What’s that say about your reality, Marty? Certain linguistic anthropologists think that religion is a language virus that rewrites pathways in the brain and dulls critical thinking.

M : I don’t use ten-dollar words as much as you, but for someone who sees no point in existence, you sure fret about it an awful lot.

*
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Les arguments sont connus, mais l'échange est intéressant. C'est d'ailleurs un des points forts de la série que d'enrichir la narration de telles réflexions.

Je ne suis pas calé en "histoire des idées" donc je ne saurais ici retracer l'origine des arguments avancés. Je peux toutefois établir un lien avec Schopenhaueur (encore !) qui dans l'un de ses écrits annexes (les Parerga et Paralipomena) a mis en scène un débat fictif entre un religieux (Démophèle) et un philosophe (Philalèthe).

Dans ce qui suit, je m'attache à relever un parallélisme amusant (sans pour autant soutenir que les scénaristes ont construit le dialogue autour de ce texte, hein)

La scène décrite ci-dessus s'ouvre sur une remarque que le défenseur de la Religion trouve méprisante ("See that? Your fuckin’ attitude").
Idem du côté de Schopenhauer : pas d'intro, rien, directement, cette réplique :

D : Soit dit entre nous, mon cher et vieil ami, il me déplaît qu'à l'occasion tu manifestes ta compétence philoskophique par des sarcasmes, et même une raillerie ouverte à l'encontre de la religion. À chacun, sa foi religieuse est sacrée; il devrait en être par conséquent de même pour toi.

La réponse du philosophe ne se fait pas attendre. Elle renvoie à la notion de vérité, et il reprochera tout au long de l'entretien à Démophèle de la masquer sciemment (cf. plus haut : "fairy tales" ; "stories that violate every law of the universe").

P : Je nie la conséquence ! Je ne vois pas pourquoi je devrais, en raison de l'ingénuité d'autrui, respecter le mensonge et la tromperie. En tout lieu je respecte la vérité, mais non, pour cette raison précise, ce qui lui est contraire. Jamais sur terre ne brillera la vérité aussi longtemps que vous en entraverez d'une telle façon les inspirations.

Une fois qu'on en est là, Démophèle est forcé de nuancer en arguant  qu'il s'agit d'une vérité "sous une forme mythico-allégorique", et là, BIM, on passe à l'argument suivant, selon lequel sans religion, le monde ne serait qu'anarchie et barbarie (cf. plus haut : "Can you imagine if people didn’t believe, the things they would get up to?" ; "It would be a fucking freak show of murder and debauchery")

D: il s'agit tout d'abord d'enchaîner les esprits grossiers et mauvais de la foule afin de la tenir éloignée de l'injustice extrême, des cruautés, des actes violents et honteux. Maintenant, si l'on voulait attendre qu'elle ait reconnu et embrassé la vérité, on viendrait immanquablement trop tard. En effet, même en posant que la vérité vient d'être trouvée, celle-ci excèdera la faculté de compréhension de la foule. La seule chose qui lui convienne en tous les cas, c'est un habillement allégorique de cette vérité, une parabole, un mythe.

Exemples à l'appui (dont je vous dispense), Philalèthe rejette l'argument (tout comme Rust)

P : les fins pratiques et la nécessité de la religion au sens [...] généralement affectionné aujourd'hui, à savoir un fondement indispensable de tout ordre légal, je ne peux les reconnaître et je dois me défendre contre cette idée.

La suite, je vous laisse la découvrir dans le texte original (édité dans un recueil titré "Sur la religion"). Je ménage mon lectorat en m'abstenant de reproduire les tirades relatives à la fonction d'"apaisement et consolation dans la souffrance et la mort" de la religion, et à ses méthodes d'endoctrinement, telles que les analyse Schopenhauer. Rust Cohle s'en charge, et de manière plus consise :

The ontological fallacies of expecting a light at the end of the tunnel, well that is what the preacher sells, same as the shrink. See, the preacher he, encourages your capacity for illusion then he tells you, to a fucken virtue, one is about to be had doing that. It is such a desperate sense of entitlement, isn't it? 
"Surely this is all for me?"
"Me ? Me , me , I , I ..."
"I am so fucking important"

True Detective (S01E03)
Arthur Schopenhauer, Sur la religion (1851)

lundi 3 février 2014

Kill Screen [Top Tape]


Top Tape Vol.5 (S6) est en ligne ! Ici :

L'émission a été diffusée en direct hier, j'y faisais gagner cinq exemplaires du nouvel album de Mogwai. Etant donné que je laisse la chance aux podcasteurs, vous pouvez encore participer tout au long de cette semaine.

Hier, furent également diffusés Damien Jurado, Jim Putnam / Mickael Mottet, Aetherlone, Arbouretum, Fauve, Les marquises, Gontard!, Koloto, the Notwist, Cymbals et Broken Bells.

Bonne écoute !

Je voulais diffuser un deuxième morceau de l'album de Fauve mais finalement je n'ai pas eu le temps. Vieux Frères - Partie 1 sort aujourd'hui. Dans l'absolu, j'aime bien "Infirmière", "De ceux", "Lettre à Zoé" et "Loterie". Les paroles sont si présentes qu'il est impossible d'en faire abstraction et de n'avoir qu'une écoute distraite et/ou portée la musique. Difficile donc de s'attacher pleinement à cet album pour qui ne partagerait pas pleinement les états d'âme du chanteur.

Un mot encore sur l'album à paraître de Jim Putman (Radar bros) et Mickael Mottet (Angil). 10 morceaux, 5 compos de l'un enregistré par l'autre et vice versa. Si le résultat vous intrigue, ne vous reste qu'à participer à son financement (par des "dons", mais qui sont en réalité des préventes) via le label 

samedi 1 février 2014

Album Cover of the Week


Warpaint, s/t (Rought Trade, 2014)
J'avoue que mon avis est assez partagé, quant à cette pochette d'album, mais il m'arrive quand même plus souvent de me dire qu'elle est réussie... d'où sa publication dans cette rubrique.

J'en profite pour annoncer le prochain volume de Top Tape, demain à 21h sur Radio Campus Paris.
Il y aura des albums de mogwai à gagner (en direct, et à partir du podcast, dans la semaine qui suivra). A dimanche, donc !