mercredi 27 février 2013

Contre la logique du commerce

Je retourne à l'essai de Bourdieu "Sur la télévision" dont j'avais cité un premier extrait au début du mois. Avant d'en venir au thème qui m'intéresse aujourd'hui, je cite quand même deux idées fortes évoquées dans la suite du texte, et qui s'expriment en une phrase (nul besoin de les développer, donc).

- Une partie déterminante de l'information qui nous est communiquée provient d'informateurs amont (Agences, Ministères...)
- Ceci complète le phénomène de circulation circulaire. Il tend à homogénéiser l'information et à produire des effets de "fermeture" (voire de censure) plus pernicieux que s'ils émanaient d'une structure bureaucratique identifiée

Ceci étant consigné, je peux passer à la suite. Bourdieu s'arrête sur la notion d'audimat, et sur ces implications.

Partout, on pense en terme de succès commercial. Il y a simplement une trentaine d'années, et ça depuis le milieu du XIXème siècle, depuis Baudelaire, Flaubert etc., dans le milieu des écrivains d'avant-garde, des écrivains pour écrivains, reconnus par les écrivains, ou, de même, parmi les artistes reconnus par les artistes, le succès commercial immédiat était suspect : on y voyait un signe de compromission avec le siècle, avec l'argent... Alors qu'aujourd'hui, de plus en plus, le marché est reconnu comme instance légitime de légitimation. On le voit bien avec cette autre institution récente qu'est la liste de best-sellers [...] A travers l'audimat, c'est la logique du commercial qui s'impose aux productions culturelles. Or, il est important de savoir que, historiquement, toutes les productions culturelles que je considère - et je ne suis pas le seul j'espère -, qu'un certain nombre de personnes considèrent comme les productions les plus hautes de l'humanité, les mathématiques, la poésie, la littérature, la philosophie, toutes ces choses ont été produites contre l'équivalent de l'audimat, contre la logique du commerce.

Pierre Bourdieu, Sur la télévision (1996)

A la télévision, l'audimat n'est évidemment pas une fin en soir (alors qu'il peut l'être pour un éditeur de livres ou un distributeur de films, vu sa traduction immédiate en termes de rentrée d'argent). A la télévision (privée), une audience (prévisionnelle) élevée permet une meilleure valorisation des espaces publicitaires.  

Beaucoup se souviennent de cette interview de Patrick Le Lay, alors PDG de TF1
"Pour qu'un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible."

L'expression caricaturale ("temps de cerveau disponible") ne doit pas masquer ce qu'est le métier réel d'une chaîne de télévision privée : non pas produire/diffuser des programmes (sous l'impulsion de telle ou telle vocation éditoriale). Mais produire/diffuser des programmes suffisamment intéressants pour que le téléspectateur reste entre deux pages de publicités.

dimanche 24 février 2013

Velvet Changes [Top Tape]

Ce soir, c'est déjà le retour de Top Tape. Ce sera à 21h, sur Radio Campus Paris (93.9FM). Soyez au rendez-vous, puisque la playlist est prometteuse, et qu'en plus, il y aura des disques d'Arch Woodman à gagner (en attendant la release party le 1er mars à la Mécanique Ondulatoire).

J'écris "déjà", puisque je n'avais pas publié jusqu'alors le lien vers la précédente mixtape ! En ligne, , feat. Local Natives, Granville, Dog Bite, Beach Fossils, the Stone Roses, Nosaj Thing et Kazu Makino, Julia Holter, Foxygen, Dead Man’s Bones, The Robot Ate Me, Pantha Du Prince.

[Ecoute rapide: .]

vendredi 22 février 2013

Un musée devenu labyrinthe

"Je vois la danse comme un art sculptural, et la sculpture comme un art chorégraphique."
(Damien Jalet)


Hieril y avait de la danse (et de la musique) au Musée du Louvre.
L'évocation
Les Médusées, sur une musique (live) de Winter Family
Par-dessus tête
Les Médusés, un parcours chorégraphique de Damien Jalet

mardi 19 février 2013

Ne me dites pas que... !

Si je m'intéresse de loin à l'actualité BD, je n'en lis que très rarement. Parmi les freins, l'offre imposante, le temps de lecture nécessaire (à domicile, vu le format des livres), et le dessin qui rencontre rarement mes critères esthétiques personnels. Quand j'entends Pénélope Bagieu s'extasier dans ses chroniques vidéos sur les qualités graphiques d'un ouvrage, il n'est pas rare que le résultat me paraissent quelconque, voire assez moche (soit par la couleur, soit pas la représentation des corps et visages).

Mise en application.
J'aime :
Le Nao de Brown, Glyn Dillon
J'aime pas :
La Femme à barbe, Antoine Dole, Juliette Inigo

Mais s'il y a un auteur "occidental" qui répond à mes attentes en matière de BD, c'est bien Bastien Vivès, surtout pour les recueils tirés des dessins publiés sur son blog (dans la collection Shampoing). Le dessin est beau, les histoires courtes, et le contenu drôle et décalé. Le dispositif est le suivant : Pas de case, des personnages esquissés, une scènette quasi figée et répétée, tandis que le dialogue progresse, opposant propos trash et attitudes flegmatiques.

On y parle de la vie, l'amour, la mort...
mais des fois, c'est juste "con" (je dis ça gentiment, hein) :

Bastien Vives, Le Jeu Video (2012)

mardi 12 février 2013

The wild youth [Crossed Covers]

Aujourd'hui, c'est Mardi Gras.
Crossed Covers
(la suite de cet article, en fait)


Grouper, Dragging a Dead Deer Up a Hill (Type, 2008)
Jehst, The Dragon of an Ordinary Family (YNR, 2011)
Painting By Numbers, 2008-2009 (BLWBCK, 2012)
Daughter, the wild youth EP (s/r, 2011)
Two Gallants, The Bloom And The Blight (Fargo, 2012)

lundi 11 février 2013

Une parenthèse de l’humanité

Sur Rue89, Samedi, interview de Vincent Liegey (co-auteur du livre « Un projet de décroissance – Manifeste pour une dotation Inconditionnelle d’Autonomie » ; membre du parti pour la décroissance). Extrait :

Voulez-vous remettre en question la propriété privée ?
On ne remet pas en cause facilement quelque chose d’aussi ancien et ancré dans nos sociétés occidentales. Mais nous pensons qu'il faut remettre en valeur le droit d’usage plutôt que le droit de propriété, comme le dit Illich. Il faut aussi se demander s’il est normal que celui qui a une maison secondaire utilisée quelques jours par an n’en paie pas le vrai prix environnemental.

Nous ne sommes pas liberticides, nous disons aux gens qu'ils sont libres de rouler en 4x4 et de consommer dix planètes, mais s’ils veulent vivre ainsi, ils doivent en payer le prix réel. Si c’était le cas, ils seraient condamnés à travailler énormément pour sécuriser les puits de pétrole en Irak nécessaires à leur approvisionnement, pour acheter les armes pour contrôler la raffinerie, etc...

Trouvez-vous normal que le kérosène des avions soit le seul carburant non taxé ? Croyez-moi, si le prix de l’avion incluait son prix écologique, il y aurait beaucoup moins de monde qui le prendrait !

Vous allez loin en parlant de « banalité du mal », au sujet de la consommation...
Le problème du système actuel, c’est qu'on est pris dans une spirale où on ne se rend jamais compte des conséquences de nos actes de consommation. En ce moment, on sécurise les puits d’uranium de la France au Niger… au nom de l’indépendance énergétique de la France !

Il faut rappeler qu'on vit aujourd'hui dans une parenthèse de l’humanité : en l’espace de quatre-cinq générations, on a consommé de l’énergie accumulée pendant des dizaines de millions d’années. Mais tout cela est terminé, puisque le « peak oil » est passé, et que maintenant il va falloir se désintoxiquer du pétrole. [...] Il faut sortir de cette aliénation par l’argent et reparler d’autonomie, car comme le dit Cornelius Castoriadis : la vraie liberté, ce n’est pas celle de consommer !

Il faut remettre l’économie à sa place : celle d’un outil pour instaurer des politiques.

Le débat national sur la transition énergétique peut-il servir à cela ?
Ce sera des guignoleries : si on ne remet pas en cause le paradigme croissansiste, ils ne trouveront que des palliatifs. Le développement durable, comme dit Paul Ariès, c’est « polluer moins pour pouvoir polluer plus longtemps ». Il faut arrêter l’acharnement thérapeutique et construire un nouveau modèle de société moins énergivore et moins dépendant des méga-machines.

Interview signée Sophie Caillat,
à lire sur Rue89

Sur cette même thématique, se reporter aussi dans ces colonnes aux articles

dimanche 10 février 2013

Un restaurant à la mode

Dans "Miam Miam", un gérant de théâtre [Edouard Baer] se voit obligé sur un quiproquo de transformer sa salle en restaurant, en l'espace de quelques heures.
Le voici briefant l'un de ses employés, s'apprêtant à endosser le rôle de serveur.

Entraînement! On a très peu de temps. "Accueil d'un client dans un restaurant à la mode"... A la mode, hein. Donc... pas trop aimable... Voilà. Plus à la mode, tu peux y aller : le petit mépris au coin de l'œil... Qu'on sente bien au fond de ton œil la question : "qui croyez vous être pour oser franchir le seuil de notre établissement?"

Edouard Baer, Miam Miam (2010)

mardi 5 février 2013

Il ne faut pas confondre...

(ça m'est encore arrivé Samedi)
l'Anglaise Jessie Ware (et son R'n'B haut de gamme)

et plus "girl next door" l'Américaine Julia Holter avec ses expérimentations dreamy
(d'ailleurs diffusée dans le dernier Top Tape, prochainement en ligne)

Jessie Ware, Devotion (Barclay, 2012)
en concert le 31 mars au Nouveau Casino

Julia Holter, Ekstasis (Domino, 2012)

A y repenser, et pour pousser plus loin la "disambiguation", je cite également ici Julianna Barwick (un poil + expé) 

dimanche 3 février 2013

If I could turn back the clock to yesterday

I wake up Sunday morning
With my mind all in a haze
Tearstains on my pillow
And make-up on my face
I see those empty whiskey bottles
And records scattered on the floor
And from the next room, I hear crying
Then I remember the night before

I saw her dancing at the party
So young with laughter in her face
And when the others had departed
Convincing words and she stayed late
And now those empty whiskey bottles
They stand accusing from the floor
That I hear footsteps as she's leaving
Yes, she remembers the night before

If I could turn back the clock
Turn it back to yesterday
There are things I wouldn't do
And things I wouldn't say

But now those empty whiskey bottles
Within my mind forevermore
And in the silence, I hear crying
Yes, I remember the night before


Lee Hazlewood, the Night Before
Cowboy in Sweden (Smells Like Records, 1970)

vendredi 1 février 2013

La circulation circulaire de l'information

M'occupant de la programmation musicale de Radio Campus Paris depuis un petit nombre d'années maintenant, je me désespère souvent que des groupes (artistiquement) méritants ne rencontrent pas le succès, tandis que d'autres, totalement inconnus et somme toute moyens, accèdent parfois en un éclair à une couverture médiatique généralisée de la part des médias mainstream (*).

A se pencher sur un tel phénomène (songez à Lana Del Rey, passée de l'anonymat aux plateaux TV et 4x3 dans le métro en l'espace d'un an), on pressent que sa propagation est basée sur une stratégie d'imitation, selon laquelle un média généraliste se doit de traiter les sujets abordés par d'autres médias de même rang. /*Triste mission que celle de devoir ne couvrir que ce qui a été avalisé par ses pairs, sans prise de risque */. 

En lisant cet été deux cours de Pierre Bourdieu relatifs aux médias, j'ai pu mettre un nom sur ce phénomène :
la circulation circulaire de l'information.

On dit toujours, au nom du crédo libéral, que le monopole uniformise et que la concurrence diversifie. Je n'ai rien, évidemment, contre la concurrence, mais j'observe seulement que, lorsqu'elle s'exerce entre des journalistes ou des journaux qui sont soumis aux mêmes contraintes, aux mêmes sondages, aux mêmes annonceurs [....], elle homogénéise [...]

Cela tient pour une part au fait que la production est collective [...] Le collectif dont les messages télévisés sont le produit ne se réduit pas au groupe constitué par l'ensemble d'une rédaction ; il englobe l'ensemble des journalistes [...] Nous disons beaucoup moins de choses originales que ce que nous croyons. Mais c'est particulièrement vrai dans des univers où les contraintes collectives sont très fortes et en particulier les contraintes de la concurrence, dans la mesure où chacun des producteurs est amené à faire des choses qu'il ne ferait pas si les autres n'existaient pas [...] Personne ne lit autant les journaux que les journalistes, qui, par ailleurs, ont tendance à penser que tout le monde lit tous les journaux (Ils oublient que, d'abord, beaucoup de gens n'en lisent pas, et ensuite que ceux qui en lisent en lisent un seul) [...] Pour les journalistes, la lecture des journaux est une activité indispensable et la revue de presse un instrument de travail : pour savoir ce qu'on va dire, il faut savoir ce que les autres ont dit. C'est un des mécanismes  à travers lesquels s'engendre l'homogénéité des produits proposés. [...] Dans les comités de rédaction, on passe une part considérable du temps à parler d'autres journaux, et en particulier de "ce qu'ils ont fait et qu'on n'a pas fait" ("on a loupé ça!") et qu'on aurait dû faire - sans discussion - puisqu'ils l'ont fait. C'est peut-être encore plus visible dans l'ordre de la critique littéraire, artistique ou cinématographique. Si X parle d'un livre dans Libération, Y devra en parler dans Le Monde ou le Nouvel Observateur même s'il le trouve nul ou sans importance, et inversement. C'est ainsi que se font les succès médiatiques, parfois corrélés avec des succès de vente (pas toujours).

Pierre Bourdieu, Sur la télévision (1996)

(*) Les attaché(e)s de presse doivent mesurer chaque jour la "force de la fermeture de ce cercle vicieux de l'information". Comme dit Bourdieu, "pour briser ce cercle, il faut procéder par effraction". Il pensait là à ce qu'on appelle depuis un "coup médiatique". En terme de critique musicale par exemple, j'ajouterais que ce qui peut fonctionner, c'est l'angle tout fait, prêt à reprendre (la chanteuse au clip vintage qui buzze sur internet, le groupe déniché en Russie par un label français...).